Préface de la première éditionL'histoire de l'Arménie et du peuple arménien est une de celles qui comportent peut-être la plus grande variété de sources. En plus de l'arménologie, elle exige ]a familiarité des disciplines les plus diverses. Les études hittites et asiatiques y sont intéressées pour l histoire du Nairi et de l'Ourarou. études destinées à prendre, avec les fouilles de l'Asie-Mineure, unie importance de plus en plus grande. Dans un ordre d'idées voisins, c'est tout le domaine des études caucasiennes qui est en jeu (nous songeons par exemple, aux travaux de 1'école de Marre).
Avec l arrivée des Arméniens en Arménie, d'autres questions se posent, intéressant parfois des disciplines en voie de formation, comme celle qui concerne les rapports possibles de 'arménien et du thraco-phrygien. Au contraire, pour les périodes achéménides, artaxiate et arsacide, ce sont toutes les études iraniennes, études en plein développement, qui entrent en jeu.
L'histoire ecclésiastique - hagiographie, christologie, patristique - exige d autre part le dépouillement des sources grecques et syriaques. C'est du reste le byzantinisme tout entier qui est solidaire des recherches sur 1'épopée mamikonienne et bagratide, sans omettre ici le vaste domaine des études musulmanes, comme l'ont montré les travaux de J. Laurent et de 'Abbé Muyldermans, pour ne citer que ceux-là.
S'agit-il de l'Arménie cilicienne ? C'est toute l'histoire de l'Orient latin, c'est toute la vie de notre France d'Outre-mer qui, en raison de l imbrication des intérêts et des cultures, sont maintenant évoquées, sans oublier les études mongoles non moins indispensables pour l'histoire de la maison hétoumienne.
La multiplicité des sources est plus considérable encore à partir du xve siècle. La dispersion arménienne disperse à travers toutes les sources européennes les recherches bibliographiques. C'est à Vienne comme à Venise, à Bucarest comme à Giflais, à Moscou comme à Paris qu'il faut désormais pour les recueils de documents, c'est, on peut le dire, avec l'aide toutes les langues européennes que doit désormais être dirigée notre enquête.
Cette simple énumération nous prouve à quel point la bibliographie de M. A. Salmaslian vient à son heure. L'auteur, rompu aux méthodes de]a Bibliothèque nationale dont il est un des collaborateurs, nous donne ici
l'instrument de travail qui nous manquait, que nous réclamions depuis longtemps. Avouerons-nous que, dans l'état actuel des études historiques, c est avant tout de tels prolégomènes que nous avons besoin? Il serait même à souhaiter que pour toutes les disciplines voisines nous disposions d'éléments de recherche aussi méthodiques, intelligents et précis que le livre dam. A. Salmaslian. Les arménologues ne nous ont pas caché en quelle estime ils le tiennent.
Qu'il me soit permis de dire à quel point les historiens orientalistes savent gré à notre confrère de son labeur, du service qu'il nous rend, de l'utilité immédiate, de l'opportunité de son entreprise. Comme nous l'écrivions dernièrement à propos des études mongoles, il est quelque chose de plus urgent que d'écrire l'histoire orientaliste ; c'est d'établir, comme on l'a fait pour «l'occidentalisme», le répertoire et la critique préalable des sources.
La présente bibliographie est de celles, qui, dans leur domaine, répondent pleinement à cette nécessité.
RENÉ GROUSSET, de l'Académie Française
Paris, 1946